Motion pour la défense de la dissertation portant sur les fondements sociohistoriques et épistémologiques de l’EPS et des APSA
À l’heure où la Direction générale des ressources humaines (DGRH) s’apprête à faire des choix importants quant à la nature des épreuves du concours du CAPEPS, dans la foulée des récents textes publiés sur la formation des enseignant·es, la communauté des historien·nes de l’éducation physique et sportive, ancien·nes enseignant·es d’EPS pour la plupart et souvent formateurs/trices aux concours de recrutement, s’inquiètent de la tournure des événements.
Les préconisations de la réforme actuellement à l’étude, sans réelle concertation avec les acteurs/trices de la formation, prévoient une réorientation de la première épreuve d’admissibilité pour le concours qui aggraverait le recul de la place des connaissances socio-historiques, épistémologiques et des possibilités de développer la réflexion sur l’EPS et son enseignement. L’incantation rituelle au « professionnel » ainsi que l’instrumentalisation de la pédagogie considérée comme un ensemble de recettes techniques transmises par la hiérarchie et qu’il suffirait d’appliquer serviraient ici de justifications. La communauté s’en étonne d’autant plus que le texte de cadrage (Arrêté du 28 mai 2019) prévoit que les enseignements de master MEEF portent, entre autres, sur une réflexion épistémologique, sur la compréhension de la construction de la didactique de la discipline ainsi qu’une connaissance éclairée des problématiques éducatives.
Nous avions déjà mobilisé la communauté l’année dernière sur ce point pour recueillir leur sentiment et faire un bilan sur la place et le rôle de la première épreuve d’admissibilité (dite « écrit 1 »), un écrit « disciplinaire et épistémologique », par rapport à la seconde épreuve d’admissibilité (dite « écrit 2 »), un écrit « professionnel », pour en montrer leur juste et parfaite complémentarité dans la formation d’un·e enseignant·e d’EPS et, a fortiori, dans les concours de recrutement. Rappelons, pour information, que l’intitulé actuel de l’épreuve d’écrit 1 est le suivant : « Les éducations corporelles dans le cadre scolaire depuis 1936 : enjeux de société et débats au sein de l’EPS ».
La spécificité de l’écrit sociohistorique et épistémologique, par rapport à l’écrit de mise en contexte de l’enseignement, dans sa singularité et sa complémentarité, possède plusieurs mérites et avantages :
• d’une part, c’est d’abord un écrit de culture générale, avant d’être un écrit purement historique de l’EPS, qui permet d’associer différentes sciences humaines et sociales pour expliciter les évolutions plurielles et contextuelles d’une discipline scolaire tout en validant la maîtrise de la langue française ;
• d’autre part, c’est un écrit académique avant d’être un écrit professionnel, autrement dit une épreuve « dissertative » (et non une « étude de cas » comme dans l’écrit de mise en contexte de l’enseignement) qui permet d’exercer un recul critique et distancié par le croisement des sources scientifiques, des faits historiques et des acteurs/trices, des théories et autres courants de pensée, afin non pas de concevoir un sens de l’histoire mais de comprendre en diachronie et en synchronie les évolutions de cette discipline scolaire ;
• enfin, c’est un écrit disciplinaire et épistémologique qui s’inscrit dans un temps à la fois court et long permettant aux futur·es enseignant·es de donner du sens à leur action, de saisir les évolutions des programmes, celles de la société et des pratiques sociales de référence, des réformes scolaires, de réinterroger sans cesse les pratiques dites « traditionnelles » comme celles plus « innovantes » et de se positionner en acteurs/trices critiques et averti·es capables de faire des choix en des modalités d’évaluation, des contenus d’enseignement et des stratégies pédagogiques… bref, l’approche de l’écrit sociohistorique et épistémologique permet d’assurer le lien entre l’école et la société, entre le corps et les pratiques sociales de référence.
Dans le cadre d’une enquête lancée en novembre 2018 auprès de la communauté des formateurs/trices pour faire un état des lieux sur l’intérêt de l’épreuve d’ « écrit 1 » dans les concours de recrutement (et plus généralement de l’histoire dans le cursus de formation en STAPS) par rapport à l’ « écrit 2 », une analyse des retours des collègues a permis de faire ressortir un certain nombre de compétences spécifiques et, ainsi, formaliser le tableau des compétences complémentaires suivant :
X : majeure x : mineure
Compétences évaluées
par les écrits du concours EPS écrit 1
(disciplinaire) écrit 2
(professionnel)
Mobiliser une culture générale au service d’une réflexion épistémologique X
S’approprier une identité professionnelle commune X
Développer une réflexion distanciée pour décrypter les enjeux institutionnels et éducatifs X x
Situer les différents acteurs et leur contribution aux débats disciplinaires dans un contexte plus large X
Analyser et contextualiser les transformations des pratiques corporelles X
Temps long et présent x
Temps présent
Maîtriser la langue française X
Fluidité et style d’écriture X
Au service d’un propos intelligible
Construire un discours réfléchi, argumenté, problématisé et éthique X X
Mobiliser des savoirs scientifiques, institutionnels, professionnels au service d’une argumentation x X
Mobiliser des connaissances sur les élèves et les processus d’apprentissage pour envisager les acquisitions dans un parcours de formation X
Étayer les propos et illustrer des choix didactiques par des propositions concrètes X
Bien évidemment, si la première épreuve d’admissibilité était vouée à changer de nature, ce serait une véritable régression intellectuelle qui tirerait un trait sur tout ce que le souci de réflexivité a apporté à notre discipline et à ses enseignant·es depuis la fin du XIXe siècle. Serait-ce une nouvelle étape dans la déqualification du métier d’enseignant·e? En effet, comment alors développer les « capacités de raisonnement et (l’) esprit critique » de l’élève comme il est écrit dans les Programmes d’enseignement commun et d’enseignement optionnel d’éducation physique et sportive pour la classe de seconde générale et technologique et pour les classes de première et terminale des voies générale et technologique de 2019 si l’enseignant·e n’a pas lui/elle-même développé cette qualification ? Les conséquences seraient catastrophiques pour le domaine des STAPS en général et pour la formation universitaire des enseignant·es d’EPS en particulier. Quatre raisons principales peuvent être mises en exergue :
• une perte irrémédiable d’un héritage cultivé par la profession depuis plus d’un siècle dans la formation des étudiant·es et des enseignant·es d’EPS nécessaire à la compréhension de leur discipline sur le plan historique et épistémologique ;
• une erreur stratégique qui décrédibiliserait le caractère « académique » de ce concours de recrutement en affaiblissant la culture générale et la maîtrise de la langue française dans la formation et la préparation des étudiant·es ;
• une désorganisation totale et historique du cursus de formation en STAPS consécutive à une perte rapide et colossale des enseignements d’histoire dans les maquettes – ce qui placerait à court terme des collègues en difficulté et conduirait à la suppression pure et simple de postes en STAPS et en INSPE sur l’histoire du sport (alors que cette discipline représente aujourd’hui l’un des points forts de l’université française des sciences du sport sur le plan international) ;
• La fragilisation à moyen terme de l’éducation physique et sportive scolaire comme objet de recherche au sein des laboratoires SHS des STAPS (laboratoires dont les travaux en histoire et en sociologie constituent des ressources pour les composantes et le corps d’inspection).
Au regard du volume déjà important de la dimension « professionnelle » dans les projections actuelles (deuxième épreuve d’admissibilité et première épreuve d’admission), au regard des compétences développées par les formateurs/trices en jusqu’à ce jour l’enseignement des fondements sociohistoriques et épistémologiques de l’EPS, au regard de l’engagement collectif de notre communauté à poursuivre un travail de qualité pour former des enseignant·es éclairé·es et efficaces (des citoyen·nes lucides, autonomes et responsables), nous souhaitons attirer votre attention sur l’importance du choix des épreuves d’admissibilité, et sur les conséquences fâcheuses que pourrait avoir la transformation en peau de chagrin de l’écrit sociohistorique et épistémologique qui, en plus de rompre définitivement certains équilibres fragiles, irait à l’encontre de l’expression démocratique de notre communauté.